Heureusement pour Artiom, Sacha était un genre de grand gourou de la mode, ce qui était normal vu le nombre de fringues qu'elle possédait et l'importance qu'elle attachait à avoir LE look qu'il fallait en toute occasion.
Elle réfléchit en considérant les deux chemises alternativement sans oublier de faire une pause sur le visage de son « invité », fit une moue.

« La bleue. Plus jolie avec vos yeux. »

Son regard sombre pétilla quand il émit l'hypothèse de peut-être bien l'accompagner finalement, elle était contente de ce développement qu'elle encourageait à grand renfort de prières et de prises de décisions depuis qu'elle l'avait croisé.

« Ce serait formidable ! Bien sûr qu'on peut, je connais bien le quartier, vous voulez manger un truc en particulier ? C'est vrai que vous avez l'air pâle », s'inquiéta-t-elle cordialement, le considérant en se demandant s'il allait pas lui claquer entre les pattes. « Je vous laisse vous changer », déclara-t-elle en repartant sans paraître se dire du tout qu'une robe aussi courte assortie d'un bijou de corps dont la chaîne soulignait sa minceur n'était pas très appropriée pour un rendez-vous chez le notaire. Avant de disparaître, elle répondit :

« A 7h30, c'est un notaire très matinal apparemment, j'espère qu'il aura du café ! »

Tu souris à nouveau, ce sourire mi-figue, mi-raisin qui ornait constamment tes lippes sans jamais réellement atteindre tes yeux. Tu tends la main pour attraper la chemise et tu fais passer maladroitement ta veste et ton haut par-dessus bord, t’aidant du miroir pour compter les boutons et réussir à bien les aligner face aux bons trous. « Euh non. Un truc qui se digère. » Ce qui n’était pas gagné vu ton manque flagrant de courage face à toute nouvelle nourriture. Tu préférais être sûr de la qualité industrielle de ton repas plutôt que de risquer une vague indigestion dans un restaurant. Il faut dire que ton manque de chance et de variété culinaire te rendait fragile à tout ce qui sortait un peu de l’ordinaire. Tes doigts tremblent un peu et tu dois t’y reprendre à plusieurs fois pour la plupart. L’idée de devoir rendre la chemise, quand, comment, pourquoi ne te traverse même pas l’esprit. Tu remets ta veste et à force de plier ton haut, tu parviens plus ou moins à l’enfoncer dans une poche.

Tu finis par sortir de la salle de bain et croiser le mastodonte derrière le bar que tu salues d’un gloussement navré et d’un petit sourire qui n’en était pas réellement un. Tu te faufiles prestement pour retrouver Sacha et lui indiquer la sortie d’un signe de tête. « Vous allez y aller dans cette robe ? » Tu demandes à brûle-pourpoint. « Elle vous va bien, hein ! Mais … je veux dire… même pour un notaire matinal c’est peut-être un peu trop matinal. »

Sacha attendait à la sortie, les jambes croisées sur ses talons hauts, une nouvelle cigarette froissée allumée au coin des lèvres, noyant la tristesse qu'elle avait, vague mais présente, comme un mal de dents débutant, dans la nicotine.
Elle sourit à Artiom qui avait déjà l'air mieux dans une nouvelle chemise, et comme elle avait déjà dit au revoir au barman, se mit en mouvement pour trouver quelque chose qui se digérait ce qui ne devrait pas être trop compliqué.

« Salé, sucré ? » se renseigna-t-elle en parfaite hôtesse, avant de baisser le regard sur la pente vertigineuse de ses jambes nues. « Oh, eh bien je pensais oui, pour repasser chez moi ça fait un détour. Il s'en remettra je pense, s'il a déjà vu mon ami. »

Elle eut un rire grave au qualificatif « matinal » de sa robe, eut un geste de main.

« Je retirerai les bijoux et ça ira très bien ! »

Comme si le souci n'était pas dans la taille ridiculement courte de la robe. Elle désigna une petite échoppe qui vendait des choses grasses à souhait, qu'elle ne mangerait pas parce qu'une ligne pareille ne s'entretenait pas à coups de frites même avec un génotype XY :

« ça vous va ? »

« Si vous pensez que ça suffira… » Sur un ton qui laisse bien entendre ce que tu en penses. La fatigue t’écrase à présent les épaules de ses lourdes pognes et tu laisses ta tête dodeliner tranquillement au rythme de tes pas, avançant surtout en mode automatique plus que mû par un but particulier. Le boui-boui face auquel s’arrête Sacha ne t’inspire aucune confiance mais tu ne peux pas décemment lui dire que tu n’étais pas certain de la qualité d’hygiène de l’homme qui tient l’échoppe. « Euh… d’accord. Vous prenez quoi ? » Que tu lâches pour gagner du temps en contemplant d’un air un peu méfiant les tâches de gras, les photographies peu ou trop mises en valeur et les restes qui trônaient sur un plateau un peu plus loin. Tu n’attends pas de réelle réponse pour prendre ton courage à deux mains – c’est plutôt ton ventre qui te fait faire le chemin – et tu vas commander ce qui te parait le plus sûr dans la liste, des frites, un sandwich quelconque et un autre sandwich qui semble avoir quelques légumes dedans parce que Lena insiste sur leur nécessité. A la question du « sur place » ou « à emporter » tu bafouilles tellement que l’homme opine d’un air las et balance tout dans un sac qu’il te tend. Tu trouves de quoi le payer en fouillant les poches de ton manteau. Tu as les plus grandes peines du monde à faire l’appoint et l’homme irrité finit par te faire signe de dégager. « Mais … vous z’avez pas froid comme ça ? » Que tu balances, la bouche pleine de frites trop grasses. Tu finis par lui en tendre une avec un sourire.

Ayant l'habitude qu'on critique ses tenues – ce qui se comprenait quand on ne bossait pas de nuit et pour vendre son corps, soit dit au passage – Sacha ne prit pas vraiment garde au ton employé par Artiom, se contentant d'un de ses sourires étonnamment doux connaissant la bestiole.

« Oh moi, rien, merci je n'ai pas faim. »

Si, elle crevait la dalle, mais plutôt mourir que de risquer de prendre 100 grammes, ce que la Drioma salua d'un soupir fatigué, en se disant pour la énième fois que si elle avait su, elle aurait ptêt pas sauvé ce gosse de 14 ans dans un cours d'eau glacial.
Elle accepta pourtant l'offrande d'une pauvre frite, en se dirigeant vers le bureau du notaire, situé dans le quartier de haute sécurité comme tous les professionnels qui avaient quelque chose à se reprocher ; ça n'était pas comme si son amie avait pu payer les services d'un homme situé Boulevard Richesse.
Elle mâchonna sa frite solitaire qui réveilla son estomac protestant envers le traitement qu'elle lui infligeait tous les jours.

« Un peu mais quand je pense à autre chose, ça va mieux. Et puis c'est la base de mon travail, c'est pas comme si je pouvais faire autrement. Ça va mieux ? » s'inquiéta-t-elle avec sollicitude, avant de le faire tourner dans une ruelle à main droite. « C'est ici. »

L'entrée de l'immeuble avait l'air de tout sauf de l'office d'un notaire, grise et semblant déprimer, mais Sacha appuya sur un bouton comme si elle était déjà venue – spoiler : c'était pas le cas.

Tu opines doctement à sa question, bienheureux armé de ses deux sandwichs à peine entamés et les frites qui avaient saturé l’emballage de toute la graisse qu’elles déversaient. Tu attends gentiment à ses côtés que l’interphone complétement pété grésille un moment. Toi tu continues de mastiquer tranquillement, pas spécialement concerné par tout ça, tu laisses le hasard ou l’ennui vous ouvrir. Tu manques de t’essuyer les doigts sur ta nouvelle chemise toute neuve et tu finis par le faire sur ton pantalon, tu balances ton sachet vide dans une poubelle pleine à craquer. « Z’êtes sûre que z’étiez attendue ? » Que tu finis par lâcher en observant tes ongles et tes doigts. Alors que tu allais commencer à te promener en rond dans la ruelle, la porte s’ouvre sur un homme un peu débraillé, l’air de venir de rentrer chez lui après une longue soirée mais étonnamment charismatiquement esthétique. « L’interphone ne fonctionne pas, pardon. Entrez, entrez. Vous êtes bien … Monsieur… Madame ? Erskine ? »

« Certaine, oui, mais ils espéraient sans doute que je ne sois pas là », répondit de façon mystérieusement Sacha, qui s'amusa ensuite sadiquement à actionner l'interphone plusieurs fois. Elle n'avait rencontré le notaire ou sa secrétaire, et le petit bonhomme qui était venu ouvrir et qui lui arrivait au niveau de (l'absence de) poitrine parut hésiter entre deux genres, celui qu'il avait sur le papier, et celui face à lui.
Sacha avait été fidèle à sa promesse, et son somptueux bijou de corps tout en chaîne qui soulignait sa taille mince avait été rangé dans une poche lors d'un tour de passe-passe dans la gargotte où ils s'étaient arrêtés avec Artiom. Ne restaient donc que les talons vertigineux, aussi hauts que la robe était courte, quoi.
Sacha se fendit d'un sourire sans paraître s'arrêter à l'hésitation sur l'attribution de genre qui devait lui être dévolue, habituée à vrai dire :

« Erskine ça ira très bien, c'est bien moi, nous vous suivons... »

Elle adressa un regard amusé à son compagnon, semblant se dire que pour l'heure matinale, leur notaire était déjà fort débraillé, hein ? … Ils traversèrent un hall surchargés de dossiers sans doute destinés aux archives et dont Sacha n'était pas certaine que le notaire ait le droit de laisser à la vue de ses visiteurs.
Elle se glissa sans commenter, toutefois, dans le bureau tapissé de bleu clair, prit place sur une chaise que lui désignait son hôte, et croisa ses longues jambes.

« Vous êtes là pour la succession de monsieur Armyanski ? »

Sacha hocha de la tête :

« ça fait très longtemps que je ne l'avais pas entendu appeler comme ça... mais oui, tout à fait, c'est pour ça. »

Le notaire jeta un regard vers Artiom, lui trouvant peut-être l'air encore un peu bouffi, et se demandant si c'était le conjoint de Sacha.

« Je peux vous proposer un café peut-être ? »

Homme. Femme. Tes yeux cillent dans un mélange de compréhension et de gêne. La notion de travesti ne t’était pas étrangère, il y en avait parfois ramassés et mis dans une cellule de dégrisement et il suffisait généralement de juste sortir à Zamo pour en croiser. Après tout Lyov proposait de tout dans ses « filles ».

L’état du bureau du notaire te fit grimacer, l'homme de loi que tu étais, gêné par un manque de professionnalisme crasse qui te faisait douter de la réalité de la situation de cet homme ou même de savoir s'il s’agissait réellement d'un diplômé. « Euh… plutôt un thé. » que tu couines après une longue hésitation. Est-ce que tu voulais réellement découvrir d’autres étrangetés locales ou est ce que les gargouillements douloureux de ton ventre auraient plutôt raison de ton courage.

La mine sombre du notaire face à ta demande te fit craindre qu’il parte sur une logorrhée sur la raison aussi obscure que dramatique pour laquelle il n’avait pas de thé à t'offrir mais l'homme finit tout de même par acquiescer et crier plusieurs fois un nom avant de disparaître lui-même derrière une porte. « Vous êtes sûre de vous ? Et je croyais que c’était une … ah. Comme vous ? » Tu tords tes mains entre elles, coincées entre tes genoux, pas tout à fait certain de la raison de ta présence ici. Tu avises la couche de poussière près de la fenêtre. « Je suis plus si sûr de vouloir un thé moi… »

Sacha eut un petit rire doux à l'oreille, qui acheva d'endormir la vicieuse Drioma, laquelle grommelait parce qu'elle aurait quand même bien aimé faire faire des cauchemars au type que son hôte s'était attaché.
Tant pis, une prochaine fois. Elle acquiesça après avoir regardé le notaire sortir du bureau après une vague excuse, criant après quelqu'un qui se gardait bien de lui répondre.

« Oui on a un fort instinct grégaire et en général on constitue des troupeaux », répondit-elle, rieuse et assez irrévérencieuse, au final.

Elle ne s'attarda pas vraiment sur le fait qu'il paraissait mal à l'aise, mais c'était peut-être à cause de la poussière et pas de la révélation de son vrai genre.
Et puis bon depuis le temps que Sacha faisait ce taf-là, elle avait appris à considérer que ce que pensaient les autres d'elle, c'était leur souci. Or, elle était redoutablement forte pour ce qui était de se mêler de ce qui la regardait.

« Vous êtes un brin maniaque ? » se renseigna-t-elle avec un intérêt non feint. « J'ose espérer que la cuisine est plus propre, sinon vous pourrez toujours le renverser discrètement dans cette petite plante en pot », proposa-t-elle.

Elle se redressa sur sa chaise quand le notaire revint, manifestement contrarié et encore plus débraillé qu'avant puisqu'il avait tiré sur sa cravate dans son agacement.

« Le thé arrive monsieur... monsieur ? »

Maniaque ? Est-ce que tu étais maniaque ? Vu l’état de ton appartement, de tes uniformes ou même ta tronche actuelle, ce serait faire preuve d'un manque flagrant de bonne foi que de répondre oui. Tu grimaces tout de même et hausse les épaules d'un air navré, te retenant pourtant d’enchaîner lorsque l'homme revint après avoir semble t-il dû lui-même attraper le thé en pleine fuite.

Tu le dévisages d’un air plutôt méfiant, fasciné par sa tenue autant que par son manque d’assurance. « Oui, c’est bien monsieur. » Tu n'as pas réellement l'intention de l’aider et tu finis par t’enfoncer dans ton fauteuil en soupirant, les bras croisés. Le dossier craque, les pieds tremblent et tu plantes tes deux pieds bien dans le sol pour éviter de te retrouver par terre. Tu te rattrapes comme tu peux à ce qui passe lorsqu’une petite bonne femme apparaît en tenant à bout de bras une tasse de laquelle dépasse plusieurs sachets de thé. « C’est qui la fillette qui a commandé un thé ? »

Sacha était assise du bout des fesses sur son fauteuil de manière à pouvoir croiser les jambes avec une allure gracieuse qui aurait presque laissé penser qu'elle était danseuse – absolument pas ! – et s'en félicita en entendant le fauteuil d'Artiom qui émettait des bruits un peu... inquiétants.
Elle étouffa un rire trop grave pour une femme, et pour cause, en entendant Artiom envoyer bouler le notaire sans prendre de gant, et avec une expression qui rendait encore plus drôle la situation.
L'homme de loi fronça du nez comme s'il avait senti une mauvaise odeur, considérant très sérieusement le flic, avant de se consoler en se disant que lui il avait une femme certes dodue, mais que c'était mieux qu'un travesti tout en jambes !

« Bien donc si nous sommes pr... »

La femme dodue du notaire fit son entrée avec un plateau dans les mains, des sachets de thé, et une remarque qui fit glousser peu virilement Sacha derrière ses longs doigts ; il fallait dire que la question de la bonne femme mettait à mal l'affirmation toute pétrie de mâle fierté précédente.
Le notaire soupira :

« Polina je t'ai dit mille fois de ne pas interrompre mes rendez-vous avec des clients... »

Elle eut un rire sec qui démontrait parfaitement sans besoin de mots ce qu'elle pensait de ses rendez-vous, déposa le plateau devant Sacha qu'elle estimait sans doute être le genre de fillette à boire du thé, lui balançant un bien senti :

« ça vous réchauffera ptêt mais j'ai un doute vu comment vous êtes fringuée ! »

Sacha lui adressa un sourire rayonnant, puis tourna son attention vers le notaire, polie :

« Monsieur travaille, ça serait bien qu'on avance ? … »

Comme quoi, elle pensait à son pauvre « invité ».

Tu en as rien à foutre toi de cet héritage mais du thé par contre… Ça, ca t’intéresse. Te sentant pourtant menacé dans ta virilité par madame, tu lances de fréquents coups d’œil vers Sacha et le plateau en attendant que la furie retourne à ses occupations. « Oui, j'ai du travail, alors si on pouvait abréger… » Tu te penches – nouveau couinement de la chaise – pour tirer le plateau vers toi après avoir vérifié que Polina était partie. L'assurance fut donnée par un cri venant de la cuisine. « La vaisselle c’est pas pour les chiens, Leonid ! » Sur tes lippes, le sourire mi figue mi raisin était réapparu. « Allez, allez, avant qu'elle revienne. » Tu grondes sur un ton que tu utilises plus généralement sur des subordonnés.

Le notaire se redresse avec un air vexé auquel tu réponds pas un sourire goguenard. Tu agites le roi des rats qui fait office d’infuseur dans ta tasse. La chaise grince à nouveau. Tu te lèves et l’observes un moment, ta tasse en main.

Sacha regretta la chaleur agréable diffusée par l'eau bouillante posée en face d'elle quand Artiom récupéra son plateau une fois Polina sortie, mais comme elle avait l'habitude de se geler les fesses, elle ne dit rien, nonchalamment appuyée du coude sur son propre fauteuil, manifestement bien moins bavard que celui de son compagnon, puisqu'il ne prenait pas la peine de répondre aux multiples craquements que produisait Artiom au moindre mouvement.
Le notaire engagea un combat de regard avec le flic en se disant qu'il commençait à lui chatouiller l'ego, celui-là, mais baissa les yeux en mésinterprétant totalement le fait qu'il se lève.
Il farfouilla dans ses dossiers, évitant aussi le regard de Sacha qui jouait du bout des doigts avec un pendentif au motif ironiquement religieux.

« Alors, hum ! Je disais... »

Il voulut s'arrêter pour amadouer Artiom et lui demander si son thé lui paraissait bon, mais Sacha s'inspira de la Drioma pour jeter un regard froid au mari de la désopilante Polina. Elle avait un sourire très gentil aux lèvres mais se promettait intérieurement de revenir lui foutre la trouille de sa vie et des mauvais rêves encore plus effrayants qu'un délire de fièvre carabinée.
Il dut le sentir, se racla de nouveau la gorge, et commença :

« Alors votre ami avait pris comme dispositions légales vous concernant, et ce dans les derniers jours de sa vie », pause pour un regard suspect qui fit froncer des sourcils Sacha, « une succession immobilière.
Vous connaissez l'Applique Argentée ? »

C'était un cabaret assez connu dans le quartier de haute sécurité, qui rassemblait des spectacles de danse plus ou moins classes – souvent dénudés à vrai dire – et une bonne cargaison de prostitués des deux sexes.
Un endroit charmant, quoi, et qui n'était pas réputé pour être regardant sur la légalité. Le regard noisette du notaire se porta sur Artiom et sa tasse de thé comme s'il attendait une réponse de sa part.

« Eh bien si vous payez ses frais d'enterrement et que vous promettez de fleurir une fois par mois sa tombe – elle a précisé qu'elle ne pensait pas que vous le feriez, mais qu'il fallait bien essayer – elle vous le lègue. »

Sacha était contente de ne pas avoir pris de thé parce qu'elle était tellement surprise qu'elle se le serait renversé sur les cuisses.

Tu trempes tes lèvres dans le thé, te les brûle, grimace et recommence en toisant le notaire dont la mine se fait d'un coup plus amène. C’est donc ça d'être un bully ? Ça ne t'étonne plus que tant de gens cherchent à en profiter. Tu suis d’une oreille distraite les échanges, les yeux à demi-clos, envisageant un moment de te faire porter pâle pour aller retrouver la chaleur de ton lit et des boules de poils.

Tu arrives enfin à avaler une gorgée d’eau saturée en théine que ça passe dans le mauvais trou. « L'applique argentée ?! Mais son propriétaire est mort ? » La police n’entrait que rarement dans Zamo mais il était toujours bon de savoir où se trouvaient les hauts et les bas de la criminalité. Ton regard se tourne vers Sacha à tes côtés qui semble elle – lui – aussi sous le choc. « Tu vas gérer cet endroit ? » Qu'est ce que le notaire avait dit déjà ? Sacha Erskine ? Tu allais devoir demander à ce qu'on te remonte quelques dossiers sur ce nom. « Bah putain. » Tu reprends une gorgée de thé et te rassied, traverse à moitié la chaise et te renverse une partie du thé sur ta nouvelle chemise. « Ah mais merde ! » Tu poses où tu peux la tasse et tu t'éponges le torse avec ta veste.

Le notaire replet regarda Artiom par-dessus ses lunettes dans un geste qui lui donnait un peu l'air d'une maîtresse d'école, mais involontaire puisque debout le flic dominait quand même la situation et l'obligeait à lever les yeux.

« C'est ce que je viens de dire, oui », confirma-t-il d'une voix égale qui suggérait qu'une bonne part de son boulot était de répéter en permanence les mêmes choses avec un ton inchangé.

Sacha de son côté calculait rapidement à quel point une perspective d'héritage inespérée comme celle-là allait changer sa vie ; on était grosso modo sur du 98%, et elle tentait de déterminer si c'était une bonne chose ou un rien trop flippant.
Elle posa son regard sombre sur Artiom, levant le menton comme une vraie dame :

« Oui, il semblerait, j'espère que tu m'aideras à choisir les fleurs pour la tombe régulièrement », commenta-t-elle dans un sourire amusé un rien hors de propos.

Elle se redressa pour récupérer la tasse de thé des doigts d'Artiom quand il cassa malencontreusement la chaise, en se faisant la réflexion que décidément les hommes étaient de grands maladroits.
Le notaire lui appela sa femme, qui se répandit en récriminations sur le fait que Sacha ait jeté sa tasse sur ce pauvre Artiom, et ce pauvre fauteuil qu'est-ce qu'on lui avait fait, encore des gens qui ne savent pas se tenir chez le notaire ça !
Sacha estima qu'il était temps de tirer sa révérence – sans trop se pencher vu la longueur de sa robe – et attrapa le bras d'Artiom d'un côté, ses papiers de propriété de l'autre.

« Merci beaucoup, nous allons vous laisser ! »

Elle entraîna derrière elle le flic, dans un claquement de talons réguliers et inarrêtable. Une fois dans la rue, elle huma l'air avec satisfaction, glissant ses papiers dans son sac à main et voulant bien rendre sa liberté à Artiom.

« Vous connaissez l'Applique argentée alors ? Si vous me raccompagnez chez moi, je pourrais sans doute vous prêter une autre chemise », proposa-t-elle en fouillant dans son sac à main pour y trouver ses cigarettes.